Le rôle pivot des notaires face aux défis du marché immobilier en crise : perspectives et solutions

Ahé Lacotte
⁠Étudiante en Master 1 Droit des Affaires à l’Université Paris-Panthéon-Assas

Dans un contexte où le marché immobilier subit une crise sans précédent, impactant sévèrement les transactions immobilières, les notaires, acteurs clés de ce secteur, se trouvent à la croisée des chemins. Entre baisse des ventes et licenciements dans de nombreuses études notariales, la profession de notaire est confrontée à des défis majeurs qui remettent en question son rôle traditionnel et sa capacité d’adaptation face à une crise qui semble redéfinir les contours du marché immobilier.

La hausse rapide des taux d’intérêt a réduit l’accessibilité des prêts pour les acheteurs, tandis que l’augmentation des prix du foncier et des matériaux de construction ont exacerbé la situation, rendant l’acquisition de biens immobiliers plus coûteuse. Cette situation est aggravée par une offre insuffisante face à une demande toujours forte, en particulier dans les zones tendues comme les grandes villes et leurs périphéries. De plus, l’incertitude économique globale et l’inflation ont érodé le pouvoir d’achat, poussant de nombreux potentiels acquéreurs à reporter ou annuler leurs projets d’achat. Ces éléments conjugués ont entraîné une baisse des transactions immobilières, impactant négativement les professionnels du secteur, y compris les notaires, qui voient leurs revenus tirés des émoluments diminués en raison de la réduction du nombre d’actes authentiques liés à l’immobilier.[1]

Les notaires sont des officiers publics jouant un rôle crucial dans l’authentification des actes juridiques, offrant un conseil juridique recouvrant à la fois le droit de la famille, le droit immobilier, ainsi que la gestion du patrimoine des particuliers. Ils garantissent la sécurité juridique des transactions, notamment dans le secteur immobilier, en procédant à des vérifications essentielles, en calculant les droits et taxes. De plus, ils accompagnent les individus et les entreprises dans les moments clés de leur vie, que ce soit pour la création d’entreprise ou les étapes importantes de la vie familiale, contribuant ainsi à la prévention des litiges et à la protection patrimoniale de leurs clients. C’est dans ce contexte de tensions et de crispations qu’il convient d’analyser les enjeux résultants de cette crise.

  1. La Crise Immobilière : Un Impact Profond sur la Profession Notariale

La crise actuelle du marché immobilier, caractérisée par une baisse significative des transactions, exerce une pression considérable sur les études notariales. Cette situation, exacerbée par une hausse rapide des taux d’intérêt et la flambée des coûts du foncier et des matières premières, a entraîné une diminution d’au moins 20% du chiffre d’affaires des notaires dans des métropoles comme Paris ou Lyon. Face à ces défis, les notaires ont dû adopter une posture défensive, allant jusqu’à réduire leurs effectifs, dans l’espoir d’une reprise du marché à moyen terme. En effet, l’activité immobilière, qui représente en moyenne 57% des produits notariés, et même 65% pour les cabinets ouverts après 2017, est le principal vecteur de revenus pour ces professionnels.[2] Avec un chiffre d’affaires en chute d’au moins 20% dans certaines zones, et des licenciements qui se profilent, la profession fait face à une période de remises en question profonde. En 2023, le nombre de transactions dans l’ancien est estimé entre 850 000 et 890 000, contre 1,2 million l’année précédente, soulignant l’ampleur de la crise. 

Les études notariales diversifient ainsi leurs activités, en particulier celles qui étaient auparavant spécialisées dans le droit immobilier. En se tournant vers d’autres domaines du droit, comme le droit de la famille, les notaires peuvent ainsi assurer une source de revenus plus stable. De surcroît, la loi 21 du 18 novembre 2016, visant à moderniser la justice du XXIe siècle, introduit la possibilité de divorcer par consentement mutuel sans l’intervention d’un juge. Cette procédure simplifiée peut être traité de manière rapide et efficace, ce qui attire les clients souhaitant régler leur séparation de manière amiable devant un notaire. Les besoins en matière de droit de la famille, tels que le divorce, la succession, ou la garde d’enfants, continuent d’exister indépendamment de la situation économique, offrant ainsi aux notaires une source de travail régulière.

  1. Une divergence sur le nombre de notaires : Quel Équilibre Trouver ?

La question du nombre de notaires en France, soulignée par l’avis de l’autorité de la concurrence en juillet 2023 recommandant l’installation de 600 nouveaux notaires, met en lumière un autre aspect de la crise : celui de l’adaptation de la profession à la demande de marché. Alors que certains arguent que l’augmentation du nombre de notaires favoriserait une meilleure répartition territoriale et une dynamisation du marché, d’autres, à l’instar de la présidente du CSN, Me Sophie Sabot-Barcet, mettent en garde contre une surpopulation notariale susceptible d’aggraver la situation économique des études existantes. La profession, déjà impactée par une augmentation significative du nombre de notaires depuis la loi Macron de 2015, doit également naviguer dans un paysage réglementaire en évolution. La profession de notaire a vu un rajeunissement et une féminisation de ses rangs, suite à l’installation libre de près de 1 650 nouveaux notaires sur une partie du territoire.[3] Cette évolution fait suite à la réforme initiée par Emmanuel Macron, lorsqu’il était ministre de l’Économie, qui, trois ans après les manifestations des notaires en 2015 contre l’ouverture à la concurrence de leur secteur, commence à montrer ses effets positifs.

  1. Stratégies d’Adaptation et Perspectives d’Évolution

Face à la crise, les notaires explorent diverses stratégies d’adaptation, allant de la diversification de leurs activités à l’optimisation de leur gestion interne. L’importance de l’immobilier dans leur activité les incite également à réfléchir à des solutions innovantes pour relancer le marché, telles que des propositions législatives favorisant l’accès au crédit immobilier ou la simplification des procédures de transaction. De plus, la crise actuelle pourrait inciter les notaires à repenser leur modèle économique, en intégrant davantage de services numériques et en optimisant leur gestion interne pour gagner en efficacité.

La création d’une cellule spécifique au sein de la Chambre des notaires, comme l’a fait Me Frédéric Aumont, pour venir en aide aux études les plus affectées, témoigne de la volonté de la profession de faire face collectivement à la crise. Cette initiative, qui pourrait inclure des fusions entre études ou des réorientations stratégiques, illustre la recherche d’une solidarité professionnelle en réponse aux difficultés rencontrées. La crise a mis en lumière la nécessité d’un soutien mutuel au sein de la profession pour surmonter les périodes difficiles.

La progressive intégration de l’intelligence artificielle dans le notariat serait une opportunité précieuse pour moderniser la profession et contrer une éventuelle baisse de chiffre d’affaires. En automatisant les tâches répétitives et en sécurisant la gestion documentaire via des outils conformes aux normes ISO tels que iManage, l’IA permettrait aux notaires de se concentrer sur des aspects plus stratégiques de leur métier, comme l’audit juridique. Des systèmes d’analyse de documents tels que LexisNexis augmentent l’efficacité et la précision dans le traitement des données juridiques, tandis que des outils de rédaction automatisée et d’optimisation en ligne comme Thomson Reuters améliorent leur productivité et leur visibilité. Le marché immobilier en 2024 étant en proie à une baisse continue, il anticipe une diminution des prix des biens de 4%, soit le double de la réduction observée en 2023. Toutefois, cette tendance à la baisse ne pourra se confirmer que si l’inflation poursuit son recul sans être impactée par des événements externes susceptibles de perturber la reprise économique. Ce serait alors un signe favorable au relancement de l’activité des études notariales.

En conclusion, la crise actuelle du marché immobilier pose des défis majeurs pour les notaires, qui se retrouvent au cœur de la tempête. La diminution des transactions, les licenciements et la baisse des revenus remettent en question le rôle traditionnel de cette profession. Pourtant, plusieurs stratégies d’adaptation émergent tel que la diversification des activités notariales, la solidarité professionnelle et l’intégration de l’intelligence artificielle afin de surmonter cette crise. Dans cette période de tensions, ces perspectives et solutions offrent un espoir de résilience et de renouveau pour la profession notariale.


[1] Yves Delecraz, « Notre profession subit de plein fouet la crise »,  (Immomatin, 4 octobre 2023)

[2] Diane Lacaze, ‘APRÈS LES COURTIERS ET LES AGENCES, LES NOTAIRES SOUFFRENT DE LA CRISE IMMOBILIÈRE’ (BFM Immobilier, 27 novembre 2023)

[3] Wladimir Garcin-Berson, ‘«Nous avons arrêté de nous payer» : le grand blues des notaires face à la crise immobilière Le Figaro Économie (28 Octobre 2023)

Share this article
Shareable URL
Prev Post

The role of notaries in the face of real estate disputes and challenges: prospects and solutions