Depuis ces dernières années, l’innovation prend une place importante au sein des administrations publiques pour contribuer à la réduction des dépenses publiques, à la participation des citoyens à l’élaboration des lois et à l’amélioration de l’offre des services publics aux usagers.
LEXIQUE :
- Gov tech (governmental technology) : ensemble des procédés, outils et technologies qui permettent d’améliorer le fonctionnement des administrations publiques (État et collectivités territoriales).
- Civic tech (civic technology) : ensemble des procédés, outils et technologies qui permettent d’améliorer le système politique, notamment dans le processus d’adoption des lois.
- Principe d’ouverture par défaut : principe selon lequel les données publiques doivent être spontanément libre d’accès afin de faciliter l’innovation par un accès transparent aux données. Ce principe s’inscrit dans le concept plus général d’Open Data.
ÉVOLUTIONS RÉCENTES :
Les innovations au sein des administrations publiques prennent plusieurs formes et concernent tant l’État que les collectivités territoriales :
I. Modernisation des services publics (État et collectivités territoriales)
Le gouvernement prévoit de dématérialiser 100% des démarches administratives d’ici 2022. Afin de répondre aux critiques formulés notamment dans le rapport du Défenseur des droits intitulé Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, la direction des systèmes d’information de l’Etat (DINSIC), a été missionnée pour auditer les 200 démarches en ligne les plus utilisées par les usagers pour vérifier le respect de certaines règles : lisibilité sur téléphone mobile, respect des normes d’accessibilité numérique, compatibilité France connect pour simplifier l’authentification des usagers et, enfin, possibilité d’être mis en relation avec un agent public à un moment de la procédure. Par ailleurs, les usagers auront bientôt la possibilité de donner leur avis sur les services en ligne et de le partager sur internet.
Les collectivités territoriales doivent mettre en place d’ici fin 2019 des schémas départementaux d’inclusion numérique afin de contribuer à combler la fracture numérique en améliorant l’accès des citoyens disposant d’un faible accès aux outils numériques. Ces schémas auront pour point d’ancrage un “hub territorial”, centre de ressources et de formation d‘animateurs numériques territoriaux.
Le « Plan d’action 2018-2020 pour un gouvernement ouvert » d’avril 2018 envisage l’instauration d’un laboratoire d’intelligence artificielle ouvert pour l’État, inspiré du rapport Villani. L’idée qui s’en dégage est d’accompagner les initiatives d’innovation au sein des ministères, avec la création d’incubateurs de services publics numériques.
Par exemple, au sein des directions et des cabinets des ministères économiques et financiers, BercyLab a été mis en place en avril 2018. Ce laboratoire d’innovation a pour objectif premier d’améliorer la qualité de vie des agents et de favoriser de nouvelles modalités de travail. Pour cela, il emploie des méthodes d’innovation collaboratives et d’accompagnement de projets.
Le Plan d’action prévoyait aussi l’organisation d’un sommet international gov-tech, consacré aux starts-up qui promeuvent la transformation numérique des personnes publiques, ayant eu lieu le 12 novembre 2018.
Le Rapport « Action publique 2022 » de juillet 2018 (consultable ici) recommande au gouvernement d’investir dans le numérique pour offrir un service public augmenté, plus efficient afin de réinventer ses relations avec les usagers . Ainsi, le rapport prévoit, en matière fiscale, la simplification et la réduction du coût de son dispositif de recouvrement des prélèvements obligatoires, ainsi que son système de lutte contre la fraude fiscale amélioré par la mise en place d’une société « zéro cash » pour simplifier les paiements.
Le décret n° 2018-689 du 1er août 2018 impose aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics de mettre à disposition des usagers un service de paiement en ligne leur permettant de régler les sommes dont ils sont redevables (paiement de crèches, de frais de scolarité, de soins hospitaliers, etc.).
II. Numérisation des contrats publics et de l’urbanisme
Le Plan de transformation numérique de la commande publique de janvier 2018 (plan consultable ici et synthèse consultable ici) prévoit d’aboutir à une commande publique totalement dématérialisée à l’horizon 2022, de l’appel à la concurrence à l’archivage. Un cadre commun d’interopérabilité des systèmes d’information de la commande publique sera élaboré d’ici fin 2019.
La dématérialisation des marchés publics est obligatoire depuis le 1er octobre 2018. La publication des dépenses de la commande publique sera par ailleurs généralisée.
La loi Évolution du logement et aménagement numérique ELAN du 23 novembre 2018 prévoit la création d’une téléprocédure pour l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme à compter du 1er janvier 2022, pour les communes, à partir d’un certain seuil.
La dématérialisation des documents d’urbanisme est obligatoire depuis le 7 novembre 2018.
III. L’open data / big data comme outil d’amélioration des services publics
La loi Axelle Lemaire du 7 octobre 2016 pour une République numérique, dont certaines dispositions sont entrées en vigueur en octobre 2018 traite de plusieurs questions : la circulation des données et du savoir, la protection des citoyens dans la société numérique, ainsi que l’accès au numérique pour tous (couverture mobile, accessibilité aux services numériques publics, accès des personnes handicapées aux services téléphoniques et aux sites internet).
Par exemple, à compter du 7 octobre 2018, les collectivités de plus de 3 500 habitants comptant plus de 50 agents doivent mettre à disposition gratuitement sur Internet différents types de fichiers, ou données en leur possession. Cependant, en l’absence de sanction juridique ou pécuniaire ni de portage politique suffisant, peu de collectivités ont engagé ce mouvement à ce jour.
Le Rapport Cadiet « Mission d’étude et de préfiguration sur l’ouverture au public (open data) des décisions de justice » de novembre 2017 (consultable ici) propose des dispositions réglementaires d’application de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Celles-ci inscrivent la diffusion des décisions de justice dans la politique d’ouverture des données publiques. Les décisions de justice constituent toutefois des données particulières, en raison de leur source (les institutions juridictionnelles) autant que de leur objet (les droits des justiciables). Leur diffusion appelle donc une réflexion spécifique et l’élaboration d’un cadre distinct. Il s’agit d’un défi juridique et technique majeur : la protection de la vie privée et des données personnelles.
Le « Plan d’action 2018-2020 pour un gouvernement ouvert » d’avril 2018 prévoit la désignation d’administrateurs ministériels des données, qui accompagne la mise en œuvre du principe d’ouverture par défaut dans les ministères et dans les territoires (ex: le superviseur général des données au ministère de la transition écologique et solidaire). Il envisage aussi l’amélioration de la fluidité des données au sein de l’Etat avec FranceConnect.
Le Rapport « La donnée comme infrastructure essentielle » d’avril 2018 (consultable ici) prône la construction d’une infrastructure de la donnée dans les administrations publiques, jugée nécessaire pour en garantir la qualité, la production, la circulation et la meilleure exploitation possible.
La loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données prévoit des dispositions spécifiques pour les collectivités territoriales, notamment un mécanisme de mutualisation des moyens pour l’application du RGPD au niveau des intercommunalités et des groupements de départements et de régions. Les collectivités pourront aussi se renseigner auprès de la Cnil pour avoir une information personnalisée sur le RGPD. La Cnil devra alors tenir compte de la particularité des collectivités dans les outils de droit souple qu’elle mettra en place (règlements-types, codes de bonne conduite…).
En octobre 2018, 99 % des régions et 70% des départements ont nommé leur délégué à la protection des données (DPD), alors que seules 10% des communes et des communautés de communes l’ont fait.
IV. Participation des citoyens par le numérique à l’élaboration des lois et des politiques publiques
La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a mis en ligne une “boîte à outils” à destination des administrations consacrée aux démarches de participation des citoyens (dispositifs d’association des citoyens aux réflexions sur les politiques publiques, dispositifs visant à stimuler la création de projets et la mise en réseaux, dispositifs visant à élaborer en commun des projets ou prototypes basés sur les attentes des usagers).
Le lancement de la Plateforme pour des questions citoyennes au gouvernement en février 2018 permet aux citoyens de poser directement leurs questions à portée générale au gouvernement afin de renforcer “les liens entre élus et citoyens”. Parmi toutes les questions posées, deux sont sélectionnées chaque mois par les deux députés initiateurs du projet, Paula Forteza et Matthieu Orphelin. Les questions et réponses des ministres sont publiées et diffusées: questions.parlement-ouvert.fr et reponses.parlement-ouvert.fr .
Le Plan d’action de l’Assemblée nationale relatif à l’ouverture, la transparence et la participation citoyenne d’avril 2018 a engagé plusieurs actions comme l’ouverture du site Internet de l’Assemblée nationale à tous les publics, la publication en open source des codes sources de l’Assemblée nationale, la simplification de l’accès de l’Assemblée nationale aux observateurs de la société civile, le renforcement de la participation des citoyens à l’activité parlementaire, le développement de consultations citoyennes, ou encore la réalisation d’une étude afin de donner une dimension participative à la procédure budgétaire. Ce dernier point a été repris dans le Rapport Paula Forteza, « Un budget participatif national pour intégrer le citoyen à la procédure budgétaire » de juin 2018 qui vise à renforcer l’accès public aux données budgétaires.
L’Étude annuelle du Conseil d’État, « Citoyenneté. Être (un) citoyen aujourd’hui » de septembre 2018 souligne tant un besoin de renouveau de la citoyenneté (recherche de nouvelles formes de participation à la vie collective et d’engagements « citoyens»), que la consolidation d’expressions numériques et innovantes de la citoyenneté, avec notamment les « civic techs ». Le Conseil d’État envisage le développement d’une citoyenneté de l’action publique impliquant les citoyens dans l’élaboration des décisions publiques.
Le Grand débat national initié à la suite de la crise des “gilets jaunes”, s’est appuyé sur des contributions sur le site granddebat.fr et plus de 6 000 réunions. Les propositions formulées sur la plateforme concernent la fiscalité, les dépenses publiques, la transition écologique, l’organisation de l’État et des services publics, la démocratie et la citoyenneté. Les contributions en ligne et les « cahiers de doléances », qui seront numérisés, feront l’objet d’une analyse par des prestataires spécialisés dans la civic tech, l’intelligence collective et le traitement de données de masse.
À terme, l’ensemble des contributions seront disponibles en open data, dans le respect de la gestion des données personnelles. Ainsi, tous ceux souhaitant s’en saisir pour réaliser leurs propres analyses, et notamment au sein du monde académique, pourront le faire.
Des débats seront ensuite organisés par les corps intermédiaires (organisation syndicales et patronales, associations, élus), par des conférences citoyennes régionales, regroupant des citoyens tirés au sort par génération aléatoire de numéros de téléphone, enfin par le Parlement. En dernier lieu, des mesures seront annoncées par le gouvernement.