Le Legal Design, un moyen prometteur au service d’une justice en crise 

Oriane Dreue
Étudiante en Master 1 Droit des Affaires et Droit Fiscal à l’Université Paris-Panthéon Assas

À l’heure où la justice est en crise et les tribunaux sont engorgés, des solutions innovantes tentent d’être apportées afin de soulager les acteurs du monde juridique.[1] Parmi elles se trouve le Legal Design. Si sa pertinence est traditionnellement étudiée sous l’angle de la relation des avocats avec leur clientèle, il apparaît intéressant de se demander si ses multiples bénéfices pourraient conduire à généraliser son recours.  

Comme le traduisent ses termes composites, le Legal Design est le fruit de la rencontre entre le design et le droit. Le mot Design vient du latin « designare », qui signifie « dessiner », « montrer par quelque indication ». Le syndicat professionnel des designers, l’Alliance France Design, lui assigne comme objectif « d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociétaux et environnementaux ».[2]

Lorsque le Design est utilisé par les praticiens pour véhiculer une information claire de la règle de droit, adaptée aux besoins d’un utilisateur ciblé, on parle de Legal Design. La communication peut ainsi s’effectuer par le biais de graphismes, de schémas, souvent plus parlants qu’un texte juridique seul. Toutefois, cette pratique ne se résume pas à de simples infographies. Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile en atteste ; la rédaction des décisions de la Cour de cassation a été aménagée afin d’être mieux comprise par les justiciables.[3] Les arrêts sont désormais structurés avec des paragraphes numérotés et des titres clairs tels que « faits et procédure », « examen des arguments » et « conclusion ». La réforme entamée par ce décret prévoit également une motivation enrichie, dans laquelle la Cour explique son raisonnement ce qui améliore encore l’accès des citoyens au Droit tel qu’explicité par le juge. Les aménagements d’un texte, pensés de telle façon à ce que l’écrit soit compréhensible pour son destinataire, peuvent donc aussi bien être du Legal Design. 

Le Legal Design se décompose en plusieurs phases, dont une première dite d’empathie. Elle consiste à se mettre à la place du destinataire de l’information afin de comprendre ses besoins. En établissant une liste de problèmes à résoudre, le praticien entre dans une phase de réflexion qui aboutira à la création d’un prototype. Ce dernier sera testé auprès du bénéficiaire dans le but de lui apporter des solutions juridiques.[4]

Pour comprendre les ambitions de cette pratique, il convient de revenir sur ses origines (I). Grâce à ses promesses, cette méthode efficace et humanisante pourrait contribuer au soulagement de l’appareil juridictionnel (II), même si elle fait face à un scepticisme quant aux obstacles qu’elle soulève (III).  

I. Les origines d’une pratique aux grandes ambitions 

Pour certains auteurs, l’émergence des LegalTechs dans les années 2000 a joué un rôle crucial dans l’apparition du Legal Design moderne.[5] Cette pratique s’est développée dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.[6] En 2009, la designer Candy Chang et le Center for Urban Pedagogy créent notamment un guide à destination des vendeurs ambulants new-yorkais, visant à clarifier les réglementations auxquelles ils étaient soumis. Pour d’autres, les prémices de cette pratique sont plus anciennes et lui trouvent même un lien de parenté avec la citationattribuée à Napoléon Bonaparte : « Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ». Malgré ces amorces, ce n’est qu’en 2014 que le Legal Design est conceptualisé pour la première fois par l’avocate et designer Margaret Hagan, dans son ouvrage Law by design.[7] Elle présente cette méthode comme étant une innovation, car elle bouleverse la présentation traditionnelle de la règle de droit.  

En tant que méthode centrée sur les besoins des utilisateurs, le Legal Design affiche de grandes ambitions, telles que favoriser l’accessibilité et l’intelligibilité du droit, objectifs de valeur constitutionnelle.[8] Il pourrait en conséquence constituer un moyen efficace et humanisant afin de pallier certaines problématiques symptomatiques d’une justice en crise. La défiance croissante des citoyens envers l’institution judiciaire en est un exemple. Une étude de l’institut CSA (Consumer Science & Analytics) réalisée en 2021, reprise par le rapport des États généraux de la justice en 2023,[9]montre que 67 % des personnes interrogées estiment que la justice est opaque ou « plutôt opaque ». Ce même rapport met l’accent sur un objectif phare : « Une clarification du rôle de la justice dans la société et vis-à-vis des autres acteurs institutionnels ». La complexité du langage juridique perçue par les justiciables renforce le sentiment de manque de transparence. Ce constat s’étend au-delà des frontières françaises. En effet, un sondage réalisé sur internet par le Conseil supérieur de la Justice belge en 2016 démontre que pour 86 % des répondants, le langage judiciaire est insuffisamment clair.[10] Ces problématiques pourraient ainsi justifier la multiplication des recours au Legal Design afin de faire connaître au plus grand nombre le fonctionnement des institutions juridictionnelles ou bien le sens des décisions de justice.  

II. Un moyen efficace et humanisant  

De par ses ambitions, le Legal Design limiterait le risque de contentieux, bien qu’il n’existe pas encore de statistiques précises permettant de l’apprécier. Il offre une meilleure connaissance des normes juridiques et des conséquences de leur violation : il contribue donc à une meilleure accessibilité et intelligibilité du droit. À titre d’illustration, 91 % des conditions générales de vente sont signées à l’aveugle.[11] Or un engagement dépourvu de consentement éclairé est un facteur non négligeable de risque de contentieux. Le Legal Design pourrait en conséquence contribuer à jouer en faveur du désengorgement des tribunaux.  

Dans un second temps, cette pratique innovante vise à servir l’exigence d’efficacité de la justice. En vertu de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable. Toutefois, les juridictions peinent à faire face à cette exigence face au nombre conséquent d’affaires nouvelles introduites chaque année. À titre d’illustration, le site du Ministère de la Justice recensait près de 1 453 000 affaires nouvelles portées devant les tribunaux judiciaires en 2022 (hors chambres commerciales, tribunaux de commerce et ruptures d’union), en augmentation par rapport à l’année précédente.[12] Outre le volume important d’affaires introduites chaque année, certains litiges tendent à perdurer en raison de la longueur et de la technicité des actes de procédures — assignations et conclusions — qui en complexifient  leur lecture. Chez les avocats et juristes, un certain constat gravitant autour de cette problématique est partagé. La fondatrice de l’agence Just Cause — agence spécialisée dans la production de Legal Design et dans la formation de cette méthode — Ghislaine Brenas énonce que « plus personne ne lit intégralement ce que l’on écrit, ni les clients, ni les magistrats ».[13] Cette analyse recoupe celle de la fondatrice du cabinet Sagan Avocats, Alexandra Sabbe Ferri, qui s’interroge : « Qui lit encore (…) des conclusions de 40 pages ? ».[14] Le juge a donc besoin de trouver et de comprendre rapidement les informations pertinentes et l’argumentation qui fonde les prétentions. Le Legal Design pourrait en conséquence aider le juge à avoir une connaissance complète des moyens formulés dans de plus brefs délais .

Finalement, il s’agit d’une pratique humanisante. Dans sa fonction informative, elle accorde une place primordiale aux justiciables. Elle est notamment utilisée par les juristes afin d’expliciter le sens des décisions de justice. L’exercice consiste alors pour les professionnels du Droit à faire preuve de pédagogie afin de transmettre une information efficace et synthétique aux citoyens. De plus en plus d’acteurs mettent en œuvre cette pratique, tant dans le secteur privé que public. C’est notamment le cas du directeur juridique du département de la Vendée, Dany Gilbert, qui a vu les retombées positives se multiplier depuis l’adoption du Legal Design par le service en raison de la clarté des solutions juridiques.[15]  

Le Legal Design est une piste méritant donc d’être explorée, malgré le fait que cette pratique trouve ses détracteurs.  

III. Un scepticisme persistant mais non invincible quant à l’ambition projetée  

Certains praticiens du droit s’interrogent sur l’intérêt d’intégrer le legal design dans la pratique juridique. Le professeur Bruno Dondero, par exemple, a exprimé ses doutes en affirmant que « si le juriste est celui qui parcourt les chemins du droit et qui guide autrui sur ces chemins, on ne voit pas comment il pourrait dans le même temps faire preuve de créativité ».[16] L’idée selon laquelle le juriste est condamné à se cantonner à un jargon spécifique, seul intelligible par lui, persiste toujours. La discipline commence toutefois par être enseignée dans les universités et même dans le milieu professionnel. L’importance grandissante accordée au Legal Design témoigne ainsi d’un certain changement de mentalité.  

En outre, il existe une crainte au sujet d’un « Legal Design orienté ».[17] C’est en effet le praticien — concepteur du design — qui maîtrise l’information et qui choisit d’en rendre une partie accessible ou non. Néanmoins, ce qui est perçu comme un danger pourrait constituer une force dans une phase contentieuse. Ayant établi sa stratégie, l’avocat défend l’application de la règle de droit au litige qui est la plus favorable à son client. Dans cette optique, le Legal Design pourrait constituer un instrument efficace au service de sa capacité argumentative.  

Au-delà des doutes relatifs à l’efficacité de cette pratique, d’autres obstacles matériels viennent se heurter à sa pérennité. Le Legal Design soulève tout d’abord une problématique financière. En effet, il faut former les juristes à cette pratique ou bien embaucher des praticiens pourvus d’une double compétence. Or, cette discipline n’étant pas encore pleinement répandue, cette double fonction est assez rare ; cette main-d’œuvre qualifiée est donc assez onéreuse. 

Enfin, le Legal Design est souvent assimilé à une pratique chronophage. Même si les initiations à cette pratique commencent à émerger, elles sont encore loin d’être le principe au sein des facultés de droit françaises. Rares sont donc les juristes qui la maîtrisent au moment de leur entrée dans le monde du travail. S’ils désirent s’y pencher de plus près ultérieurement, ils doivent prendre le temps de se former. Or dans un contexte de justice en crise, le temps est précieux, tant pour les juges que les avocats. Il en va de même pour les entreprises qui ont souvent des contraintes de calendrier très fortes. Toutefois, il peut être argué que le Legal Design pourrait ultérieurement constituer un gain de temps. Cette pratique assure une meilleure intelligibilité de la règle de droit et donc génère potentiellement moins d’incompréhensions de la part des justiciables, des partenaires d’affaires ainsi que des salariés. Les avocats et les conseils d’entreprises pourraient donc gagner un certain temps car leurs clients auraient moins d’interrogations.


[1]  Rapport du Comité des États Généraux de la Justice, Rendre Justice aux Citoyens (Octobre 2021–April 2022, Ministère de la Justice, 2022)

[2]  Alliance France Design, ‘Quelques citations célèbres sur le design’ (Alliance France Design, 2024)

[3]  Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, Journal Officiel de la République Française (11 December 2019)

[4]  Florence Creux-Thomas, ‘Le Legal Design: Gadget ou Opportunité pour les Avocats?’ La Semaine Juridique (16 December 2019, no 51) 1321

[5]  ‘Qu’est-ce qu’une legaltech ?’ Dalloz Étudiant (29 September 2017)

[6]  Sihem Ayadi Dubourg, ‘Comprendre le Legal Design, pour transformer l’expérience de vos clients’ Juridy (6 June 2020) 

[7]  Law by Design, Margaret Hagan, 2014

[8]  Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999

[9]  Rapport du Comité des États Généraux de la Justice, Rendre Justice aux Citoyens (Ministère de la Justice, Avril 2022) 69

[10]  Conseil Supérieur de la Justice, Projet Épices: Le langage clair au menu du judiciaire (CSJ, 2018)

[11]  ‘D’un besoin d’intelligibilité du droit à une évolution du monde juridique par le Legal Design’ Juri’Predis (24 June 2020)

[12]  Ministère de la Justice, Chiffres clés de la justice, Édition 2023 (Ministère de la Justice, 2023)

[13]  Florence Creux-Thomas, ‘Le legal design, gadget ou opportunités pour les avocats?’ La Semaine Juridique – Edition Générale (16 December 2019, no 51) 1321

[14]  ibid

[15]  Cassandre Tinebra, ‘Pourquoi le Legal Design est-il un outil incontournable pour les professionnels du droit ?’ (Village de la Justice, 4 January 2024) 

[16]  Bruno Dondero, « La créativité et les juristes », Cahiers de Droit de l’Entreprise, n° 5 Sept 2016, dossier 46

[17]  Bruno Dondero, Legal design. – Parler de design à propos du droit a-t-il un sens ?, La Semaine Juridique Edition Générale, n° 4, Janvier 2019

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