Chaque semaine, Assas Legal Innovation vous plonge dans
l’actualité de l’innovation en droit, en recensant les derniers articles publiés et en les classant par thème
BLOCKCHAIN-FINTECH
Dans une décision du 20 mars 2025 relative à la titularité d’un droit d’auteur, le Tribunal judiciaire de Marseille franchit une étape historique en reconnaissant pour la première fois la valeur probante d’un horodatage blockchain dans une affaire de contrefaçon. L’affaire opposait une société spécialisée dans la création artistique à un concurrent accusé de contrefaçon.
La première qui commercialisait des vêtements sous une marque enregistrée auprès de l’Union européenne, reprochait à l’autre partie d’avoir reproduit ses modèles intégrant des caractéristiques originales, protégées au titre du droit d’auteur. Au soutien de cette accusation, la société demanderesse affirmait notamment que les croquis et images de ses vêtements avaient fait l’objet d’un ancrage dans la blockchain réalisée par la solution technique Blockchainyour IP.
Le tribunal judiciaire accueille ce moyen. Grâce aux horodatages Blockchain, le tribunal a pu établir l’antériorité et la titularité des droits de la société demanderesse. Les juges admettent ainsi que la blockchain puisse assurer une fonction d’horodatage de la création, mais également que cette technique puisse prouver la titularité d’un droit d’auteur.
DONNÉES PERSONNELLES – CYBERSÉCURITÉ
Free a récemment obtenu une victoire partielle concernant la loi dite « anti-Huawei », restreignant l’utilisation d’équipements de télécommunications provenant de fournisseurs non européens (notamment Huawei et ZTE), pour des raisons de sécurité nationale. En effet, Free envisageait de déployer les antennes radio litigieuses dans certaines zones spécifiques, comme aux abords de stades, mais l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) a refusé cette demande, soulevant que la loi ne prévoit pas d’exception, même pour des zones moins sensibles.
Free a alors contesté cette décision en se prévalant d’une atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi qu’au principe de concurrence. L’entreprise française a obtenu du Conseil d’Etat qu’il annule la décision de l’ANSSI le 10 mars 2025. Les juges ont décidé qu’il fallait opérer un contrôle de proportionnalité entre la défense et la sécurité nationale, qui justifient des restrictions (l’interdiction portant sur les zones sensibles n’est pas remise en cause), et les impératifs économiques et de concurrence. S’agissant d’une question de fond, l’issue de ce contrôle reste à venir puisque l’affaire a été renvoyée devant une cour d’appel afin d’établir l’équilibre. Cette décision intéresse beaucoup les autres acteurs télécom qui sont soumis à des lois similaires dans les autres pays européens.
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
H&M prévoit d’utiliser l’intelligence artificielle pour créer des répliques numériques de ses mannequins, soulevant des enjeux juridiques majeurs. L’avocat Jonathan Elkaim alerte sur la nécessité d’un cadre légal strict et d’un consentement éclairé des mannequins concernant l’exploitation de leur image. Les questions de territorialité, de durée des droits cédés et des usages possibles sont cruciales. De plus, le “droit de fouille” pourrait permettre aux IA d’exploiter ces avatars pour générer d’autres modèles, posant un risque en matière de protection des données personnelles. Le règlement européen sur l’IA impose des obligations de transparence, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à 35 millions d’euros en cas de non-conformité.
L’essor des deepfakes et des voix clonées par IA générative représente un risque majeur pour la désinformation, notamment en période électorale. Depuis les premiers cas médiatisés en 2018, ces contenus manipulés se sont multipliés, impactant la perception publique et l’intégrité des scrutins, comme lors des élections de 2024. L’IA facilite la création massive de faux contenus, rendant leur détection plus difficile et menaçant la confiance dans l’information. Les “voice fakes” posent un défi supplémentaire, leur réalisme rendant la tromperie plus efficace. Face à ces dangers, des solutions comme la détection automatisée et des initiatives telles que Viginum en France tentent de lutter contre ces manipulations, mais une coopération internationale et une sensibilisation accrue restent essentielles.
SMART CONTRACTS
Sapians et Suravenir lancent Focus Vie, un contrat d’assurance-vie 100% digital destiné aux entrepreneurs et aux cadres supérieurs, avec une souscription entièrement dématérialisée et l‘absence de frais d’entrée, d’arbitrage et de rachat. D’un point de vue juridique, ce produit s’inscrit dans la continuité de la digitalisation des services financiers, tout en respectant les exigences réglementaires de la distribution d’assurance, notamment l‘obligation de conseil, assurée ici par un family-officer dédié. Le contrat propose également une gestion personnalisée via des unités de compte sélectionnées, impliquant une plus grande responsabilité en termes de transparence, d’information précontractuelle et de respect des règles de gouvernance des produits (DDA). L’introduction future des fonds ELTIF soulève également des questions juridiques relatives à l’accès aux titres non cotés et à la protection des investisseurs.
GOVTECH
Dans une décision rendue le 1er avril 2025, le Conseil d’État a déclaré illégale la suspension de TikTok en Nouvelle-Calédonie décidée par le Premier ministre en mai 2024. Saisi par la Ligue des Droits de l’Homme et La Quadrature du Net, le Conseil a estimé que la mesure, bien que fondée sur des circonstances exceptionnelles (émeutes violentes et état d’urgence), ne respectait pas les conditions requises pour limiter les libertés fondamentales.
En particulier, l’absence de limitation dans le temps constituait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et d’information. Le Conseil rappelle que toute interruption de service, pour être légale, doit être strictement nécessaire, limitée dans le temps et subsidiaire à d’autres mesures moins attentatoires. Cette jurisprudence encadre les restrictions aux services numériques, tout en reconnaissant la possibilité de suspension en cas de crise grave.
À la veille de l’annonce de nouveaux droits de douane réciproques, l’administration Trump a publié son rapport annuel 2025 sur les barrières commerciales, dénonçant les législations européennes, notamment la législation sur les marchés numériques (DMA), le Digital Service Act (DSA), le règlement sur l’intelligence artificielle et celui sur les données, comme étant discriminatoires à l’encontre des entreprises américaines.
Le rapport critique l’UE pour avoir, selon lui, infligé des amendes excessives aux géants technologiques américains, bien qu’aucune sanction n’ait été prononcée à ce jour en vertu du DMA. Il s’inquiète également des obligations de transparence du règlement IA, jugées menaçantes pour la propriété intellectuelle et les secrets d’affaires. Enfin, Washington redoute que les normes européennes en matière d’IA s’écartent des standards internationaux, forçant ainsi les entreprises américaines à s’y conformer
La Commission européenne, par la voix d’Ursula von der Leyen, affirme disposer d’un « plan solide » en réponse aux mesures protectionnistes américaines attendues.