Bahreïn : oasis virtuelle ou mirage technologique ?

Gabin Stock, membre d’Assas Legal Innovation, vous propose cette première réflexion d’une série de trois sur le thème “Le secteur des nouvelles technologies dans le Golfe persique : opportunité ou illusion ?”.


Ce n’est pas un hasard si Bahreïn fait tamponner « business friendly » sur tous les visas délivrés ; le plus petit état du Golfe (778.3 km2 ) a en effet été confronté au spectre du tarissement des hydrocarbures bien avant ses voisins, ceci expliquant sa dernière place dans le classement des producteurs pétroliers de la péninsule arabique. 

Les premières réactions politiques advinrent dès les années 1980 : des salves de diversification de l’économie furent mises en œuvre, jetant les bases de la transformation d’une économie de production en une économie de services. Le pays s’est ainsi rapidement positionné en leader mondial de la finance islamique1. La libéralisation des flux de capitaux – entrainant une multiplication par 51 des IDE entre 1990 et 2015 – s’accompagna d’une libéralisation des flux migratoires, le Bahreïn étant le premier pays du Golfe – et le seul avec le Qatar – à avoir abandonné le système de parrainage3. Les visas sont par ailleurs octroyés très facilement à tout individu attestant d’une offre emploi.

Conséquence : les hydrocarbures ne représentent plus « que » l’équivalent de 20% du PIB2, soit le taux à l’échelle étatique le plus bas du Golfe. 

Mais la concurrence de Dubai dans le secteur financier pousse aujourd’hui le pays à épouser les courbes de la révolution technologique afin de catalyser le développement de la fintech.

Ainsi, outre l’organisation de nombreux événements fintech comme Block on (sur la blockchain) ou Fintastic Bahrain week, destinés à faire de Bahreïn une vitrine du digital, le pays centre sa stratégie sur sa capacité à attirer les startups. Bahrain Economic Development Board, l’agence gouvernementale en charge de la promotion des investissements étrangers au Bahreïn, a par exemple annoncé pendant la Bahrain start-up Week  se doter d’un « super-fonds » de 100 millions de dollars visant à soutenir la croissance des startups. 

Outre cette mesure d’incitation, le cadre juridique semble particulièrement propice au développement des entreprises.

Tout d’abord la Sandbox, développée par l’équipe technologique de la Banque centrale, pose le principe de l’affranchissement du droit commun pour les start-up répondant à certaines conditions4 afin qu’elles puissent librement tester leur innovations sans subir les conséquences juridiques et financières « normales ». Cette idée s’inscrit dans la longue liste de « poches d’efficience » juridiques créées dans le Golfe dans le but de stimuler un marché particulier.

Il faut aussi naturellement citer les taux d’imposition proches de zéro — pas d’impôt sur les sociétés, ni sur les particuliers, seulement 5 % de TVA — et des prêts avantageux. L’innovation est de surcroît maintenant protégée, Bahreïn s’étant depuis les années 2006 muni d’un arsenal législatif protégeant la propriété intellectuelle à la manière des pays occidentaux5.

Ces maintes initiatives ont porté leur fruit, faisant de Bahreïn le pays le plus « digital-friendly » du Golfe, le secteur technologique représentant maintenant 8% du PIB, soit le même chiffre qu’aux Etats-Unis. A titre de comparaison, ce même secteur représente 3,8% en Arabie Saoudite ; 0,4% au Qatar et 6,2% dans l’Union Européenne. 

Ainsi, de plus en plus d’entreprises spécialisées dans les NTIC, tant chinoises6 qu’occidentales, comme Amazon qui offre déjà aux start-up incubées au C5 Accelerate 50 000 dollars de cloud credit ou Microsoft qui sponsorise plusieurs événements start-up comme le Meet ICT, semblent se positionner pour profiter du bouillonnement technologique actuel, d’autant plus que selon BNP Paribas, « le secteur de l’information, de la communication et des technologies représente 54% de ces IDE ».

Il faut cependant signaler la découverte récente du plus gros gisement pétrolier de l’histoire du pays en 2018. Si certains craignent que ce rebondissement freine la transformation économique du pays, il semble que cette position doive être nuancée : les capacités d’exploitation de Bahreïn ne sont pas celles de ses grands voisins, un brusque changement ne semble donc être envisageable pour le moment. Les déclarations du directeur de l’exploration de la compagnie nationale Bahrain Petroleum Co, Yahia al-Ansari semblent aller en ce sens : « Bien qu’elle soit digne d’être mentionnée, la découverte ne change pas grand-chose au statu quo à court terme. Bahreïn restera un petit parmi les producteurs de pétrole du Golfe » a t-il expliqué à la presse. 

Si cette donnée économique ne semble pas impacter la politique de diversification de l’économie bahreïnienne, la donnée religieuse pose plus de question. Il faut en effet savoir que la famille régnant depuis l’indépendance est sunnite, alors que la majorité de la population (plus de 65% de la population) est chiite. Ceux-ci se sentent persécutés et discriminés, ce qui les a poussés à se soulever en s’inscrivant dans la dynamique dite des « Printemps arabes » de 2011. La réaction du pouvoir en place fut d’autoriser les forces du Conseil de Coopération du Golfe7, menées par l’Arabie Saoudite, à réprimer sévèrement le mouvement d’opposition. Cette agitation entraina une fuite des investissements. 

Se pose ainsi la question de la stabilité politique du seul pays du Golfe ayant été exposé aux secousses du « Printemps Arabe » tout en étant l’un des premiers à s’ouvrir à l’économie numérique et mondialisée.


1 La finance islamique est une finance dont le mode de fonctionnement repose sur les principes de la charia ; elle est ainsi notamment fondée sur l’interdiction du prêt à intérêt – même si, en pratique, des systèmes de rémunération du préteur sont mises en place.

2 Le système de parrainage est système où un employé expatrié dépend d’un autochtone, celui-ci devant lui donner l’autorisation de quitter le pays ou de changer de profession par exemple.

3 Chiffres de 2016

4 Le projet doit et répondre et bénéficier directement ou indirectement aux consommateurs être innovant. Mais dans si un projet existant est testé, les résultats de cette expérience devront être communiqués à la Banque Centrale. — https://www.cbb.gov.bh/assets/Regulatory%20Sandbox/Regulatory%20Sandbox%20Framework-Amended28Aug2017.pdf

5  http://www.wipo.int/wipolex/fr/profile.jsp?code=BH

6 Selon les dires de Simon Galpin, membre du Conseil d’administration de Bahrain Economic Development Board : — https://www.cnbc.com/2018/09/20/bahrain-sees-growing-interest-from-chinese-tech-firms.html

7 Le CGG est une instance de coopération supranationale militaire et économique incluant l’Arabie Saoudite, le Qatar, Bahreïn, le Koweit, Oman, le Koweit et les Emirats Arabes Unis.

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