Les Emirats Arabes Unis : nouveau hub économique ?

En novembre 2009, la Banque centrale des Emirats Arabes Unis, basée à Abu Dhabi, annonça qu’elle allait sauver les banques dubaïotes, touchées de plein fouet par la crise de 2008 en raison d’investissements immobiliers pharaoniques.

Si cette aide était la bienvenue1, elle ne semblait pas aller de soit tant la rivalité entre Dubaï et son grand voisin structure depuis leur naissance la politique des Emirats Arabes Unis. Cette fédération de 7 « cités-Etats »2 est en effet largement chapeautée par la dualité entre les familles régnantes d’Abu Dhabi dont est toujours issu le président des EAU et de Dubai – dont provient le vice-président qui cumule les fonctions de premier ministre des EAU. Les 5 autres Emirats, en raison de leur puissance économique marginale, sont seulement appelés à jouer à un rôle politique périphérique ; ce qui aurait pu être la destinée de Dubaï.

 

Petit face à Abu Dhabi, qui recouvre 80% de la superficie des EAU, et pauvrement doté face à ce mégalodon qui détient 90% des réserves en hydrocarbure des EAU, Dubaï a tout de même réussi à s’imposer comme une puissance incontournable, défiant « toute la littérature académique sur les nations de faible superficie2 ». En s’appuyant pour le financement sur ses faibles ressources en hydrocarbures, elle se développa à partir de trois grands axes : le tourisme, l’immobilier (avec la plus haute tour du monde par exemple) et les activités marchandes de transport (Dubaï dispose ainsi du 9ème plus important port à conteneur et du 3ème aéroport le plus fréquenté du monde). Dubaï s’est ainsi transformé en place financière régionale, sur un modèle calqué sur celui de Singapour, pour éviter de se retrouver étouffée par les puissances pétrolières voisines. On peut alors parler d’une politique de flux, en opposition à une politique de réserves.

 

Malgré la déconvenue subie par Dubaï lors de la crise financière, donnant poids aux idées conservatrices opposées à une modification de modèle économique3, Abu Dhabi s’est elle aussi décidée, peu après la mort du conservateur cheikh Zayed, à suivre la formule de la diversification économique afin de limiter sa dépendance aux hydrocarbures. A partir de ce moment, la divergence des modèles économiques céda face à la convergence des objectifs et on assista à une harmonisation fédérale des volontés diversificatrices, en témoigne la création d’un Ministère de l’intelligence artificielle à l’échelon fédéral, une première mondiale (ce qui n’efface en rien le caractère prégnant des rivalités internes).

L’idée générale est que la politique économique des Emirats Arabes Unis va dans la création d’infrastructure de haute technologie afin d’attirer touristes, investisseurs et entrepreneurs étrangers. Le projet Masdar City d’Abu Dhabi s’ancre ainsi dans cette direction : il s’agit d’une ville créée ex nihilo dans le désert pour être 100% technologique et écologique portée par une entreprise d’Abu Dhabi. Mais malgré la présence de 400 sociétés internationales comme Siemens, Lockheed ou Mitsubishi, elle peine encore à attirer de nouveaux habitants, tant nationaux qu’étrangers.

 

Au contraire, Dubai semble avoir un temps d’avance tant la multiplication des espaces promouvant les nouvelles technologies tend à faire d’elle une vitrine régionale sinon mondiale, en témoigne l’organisation de l’exposition universelle 2020 avec comme point d’orgue la mise en place de la 5G et de l’hyperloop sensés relier Dubai à sa voisine. On remarque ensuite que la création d’infrastructure de pointe – comme le reflète également l’entité Smart Dubai qui a pour objectif de rendre toute la ville connectée – est concomitante à la mise en place de zones franches. Cette politique mêlant baisses d’impôts et infrastructures intelligentes, qui a pour but évident et avoué d’attirer investisseurs et entrepreneurs étrangers, se matérialise parfaitement dans l’Internet City de Dubai. Celle-ci est un parc technologique où toute entreprise s’y installant est exonérée de TVA, d’impôts sur le revenu et de taxes d’importations et d’exportations. Les nombreuses sociétés – tel Facebook, Google ou Samsung – qui s’y sont installées bénéficient en outre de facilités juridiques, comme le reflète la possibilité de faire appel aux DIFC Courts. Celles-ci sont des juridictions indépendantes, composées de juges étrangers opérant en anglais et rendant des jugements fondés sur la common law.

L’objectif est d’offrir la garantie d’une justice non-étatique pour écarter tout risque de conflits d’intérêts entre un état entrepreneur et une justice notoirement peu indépendante du pouvoir. Enfin, il faut impérativement noter le resserrement des liens sino-émiratis dans le cadre de la mise en place la « nouvelle route de la soie » chinoise (une ambitieuse stratégie destinée à intensifier les échanges des capitaux eurasiens). Un mémorandum, lors de la visite officielle de Xi Jinping, a ainsi été signé pour une participation conjointe à ce projet, la Chine reconnaissant la qualité infrastructurelle émiratie et voulant l’utiliser, selon les termes de Juma Mohammad Al Kait, sous-secrétaire au Ministère du commerce extérieur comme « hub pour accéder au Moyen-Orient ». Une société d’Etat chinoise s’est en outre installée dans le centre financier dubaïote et Alibaba a de plus dévoilé son plus important investissement technologique au Moyen-Orient : un projet de “ville technologique” de 600 millions de dollars devant être construite près du port de Dubaï et pour la première fois. Ainsi, si des fragilités liées au caractère fluctuant de la finance et des investissements immatériels peuvent surgir à tout moment, il semble que l’inertie diversificatrice poussant les EAU dans le jardin des pays à haute technologie soit irrésistible.

 

Gabin Stock


1 Fait amusant : en remerciements, la plus haute tour du monde, à l’origine appelée Burj Dubaï, a été rebaptisée en l’honneur du Cheikh d’Abu Dhabi, Khalifa.

2 Comprenant Abu Dhabi, AjmanCharjahDubaïFujaïrahRas el Khaïmah et Oumm al Qaïwaïn

3 Les Emirats du Golfe, au défi de l’ouverture, A. Normand

4 Les énormes réserves d’Abu Dhabi auraient permis de conserver le même cap de développement pour encore 90 ans

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